Le XXIIIe Congrès Confédéral de Force Ouvrière a eu lieu à Tours du 2 au 6 février 2015.
A suivre les entretiens de L'Ouest-Syndicaliste avec :
- Didier Bernus, secrétaire général de la Fédération des Services Publics et de Santé
- Frédéric Homez, secrétaire général de la Fédération de la Métallurgie
- Gabriel Gaudy, secrétaire de l'UD-FO 75
- François Grasa, secrétaire général de FO-Cheminots
- Patrice Clos, secrétaire général de la Fédération des Transports et de la Logistique
- Gérard Dossetto, secrétaire général de l'UD CGT-FO des Bouches-du-Rhône
- Denis Langlet, secrétaire de l'Union Locale FO de Trappes (Yvelines)
- Dejan Terglav, secrétaire général de la Fédération Générale des Travailleurs de l'Agriculture et de l'Alimentation
- Frédéric Bochard, secrétaire général de l'UD CGT-FO du Puy-de-Dôme
Voir aussi :
- 23ème Congrès Confédéral : extraits d'interventions et résolutions
- FO2015 Tours - Intervention de Patrick Hébert (vidéo)
- Photos FO44 (Picasa - Christophe Sey)
Didier Bernus, secrétaire général de la Fédération des Services Publics et de Santé
- L'Ouest Syndicaliste : Tu avais accompagné Jean-Claude Mailly au meeting de rentrée nantais du 9 octobre dernier. Le secrétaire de la confédération avait alors conclu son discours en exposant qu'un succès de Force Ouvrière aux élections du 4 décembre dans la fonction publique constituerait un tremplin pour la mise à l'ordre du jour de la grève interprofessionnelle.
La résolution générale de notre congrès confédéral y appelle justement. Une décision qui vient à point pour le secrétaire général de la Fédération des services publics et de santé?
Didier Bernus : Tout à fait, et comme tu as pu le remarquer, toute mon intervention au congrès était dirigée en ce sens. Mais auparavant, je voudrais revenir sur un point pour faire le lien entre le tremplin électoral du 4 décembre et l'appel à la grève interprofessionnelle lancé par le congrès.
Le succès de Force Ouvrière dans les trois versants de la fonction publique le 4 décembre n'a pas été que celui de nos militants et syndicats directement concernés par le scrutin, mais bien celui de l'ensemble de la confédération, pleinement mobilisée. Jean-Claude Mailly a labouré le terrain ; l'investissement des unions départementales , comme dans les localités de nos camarades du secteur privé, a été total.
Bien sûr, dans chacune des fonctions publiques, nous avons exposé nos revendications spécifiques catégorielles, mais méthodiquement nous avons fait la liaison entre les obstacles à la satisfaction des revendications et la politique d'austérité.
A commencer évidemment par les 8 années (2010-2017) de gel du point d'indice imposé aux fonctionnaires. Je l'ai rappelé dans mon intervention : dans la "territoriale", comme parmi les hospitaliers, une majorité des personnels relèvent de la catégorie C, avec des salaires de 1200/1300 euros. Ces fonctionnaires ont déjà perdu l'équivalent de 200/250 euros/mois du fait du blocage du point d'indice.
Les fédérations patronales en tirent argument pour de même rejeter les revendications salariales de nos camarades du privé.
Le projet de loi "santé" de Mme Touraine, le démantèlement des services publics par l'explosion en baronnies de la République impactent certes au premier chef les fonctionnaires directement concernés, mais aussi l'accès des citoyens au service public républicain.
- L'OS : Une analyse juste d'une situation est une chose. Créer le rapport de force pour renverser la vapeur en est une autre...
Didier Bernus : Mais justement l'heure est venue de passer au cran supérieur ; et c'est là toute la portée de la nouvelle étape dans laquelle la confédération va désormais engager toutes ses forces, suite à la décision unanime de notre congrès de créer les conditions de la réussite d'une journée de grève interprofessionnelle.
La priorité militante doit être maintenant la mise en débat et l'organisation à tous niveaux, partout sur les lieux de travail, de la grève public-privé contre le Pacte de responsabilité, la loi Macron, etc.
Seule la grève interprofessionnelle peut faire reculer le gouvernement et le MEDEF. Sans cela le rouleau compresseur de l'austérité nous écrasera.
Frédéric Homez, secrétaire général de la Fédération de la Métallurgie
- L'Ouest Syndicaliste : Ce congrès a été une belle démonstration d'unité des syndicats FO. Avec déjà un objectif ambitieux visé pour le prochain congrès confédéral: le comblement des 10 à 15 points d'écart séparant, dans le secteur privé, FO de la CGT et de la CFDT. Quel peut être l'apport de FO-Métaux à la réalisation de ce rééquilibrage des rapports de force intersyndicaux ?
Frédéric Homez : En préalable, la fédération de la métallurgie a œuvré pour cette unité, et je tiens particulièrement à donner un coup de chapeau à JC. Mailly et à l'ensemble du secrétariat confédéral sortant, pour l'impulsion qu'il ont su donner à Force Ouvrière au cours du mandat écoulé. FO-Métaux considère que les mandats donnés en commission exécutive ou en CNN ont été respectés. Notre fédération approuve les choix faits par la confédération à chaque fois que s'est posée la question de signer ou ne pas signer tel ou tel accord national. FO-Métaux s'est également trouvée d'accord avec les campagnes explicatives, appels nationaux à manifester et grèves initiées par la confédération pour faire face aux contre-réformes portant la triple estampille gouvernement-MEDEF-CFDT.
Pour en revenir à ta question sur l'objectif de combler à échéance le retard de FO vis-à-vis de la CGT et de la CFDT, et plus précisément sur la faculté de FO-Métaux d'y apporter son concours, quelques considérations et pistes.
Il est notoire que dans les entreprises et établissements où nous sommes implantés, nous n'avons en général aucun mal à faire jeu égal avec la CGT et la CFDT, ni même à ravir la première place pour ensuite la conforter. La situation est désormais fréquente dans la métallurgie, où FO franchit maintenant la barre des 30% de représentativité. Vous êtes d'ailleurs bien placés en Loire-Atlantique pour savoir ce qu'il en est, avec un score FO sans appel de 45% des voix dans le groupe Manitou en 2013, et en décembre dernier de 34,5% des voix à Airbus-Nantes et 39% à Airbus-Saint-Nazaire. Sans oublier bien sûr STX, où faute de conquérir la position n°1, FO a bondi de 8,8 à 19,2% aux élections d'octobre 2013.
Pour contribuer à la demande de
J.C. Mailly et à son objectif du comblement des 10 ou 15 points, nous avons déjà entamé cette démarche ; et l’écart est moindre dans la métallurgie, et nous allons porter les efforts de syndicalisation en direction des cadres et de création d’implantations. A ce jour et en fonction du nouveau cycle électoral (2013/2016) pour la représentativité en 2017, nous avons une représentativité de
31 % à la fin de l’année 2014.
- L'OS : ... Et, j'imagine aussi, en continuant de valoriser une pratique contractuelle responsable et efficace...
F. Homez : Le bas de la feuille de paye est notre préoccupation. En 2014 à Airbus, nous avons signé un accord salarial exemplaire à 3,4%. Mais nous savons aussi signer des accords défensifs lorsque la pérennité des sites et des emplois est en jeu.
Ainsi l'avons-nous fait chez Renault en 2013, ce qui a contribué au redressement du constructeur automobile, qui annonce aujourd'hui le recrutement de 1000 CDI, plus 1000 apprentis. A l'opposé, nous savons tout autant ne pas sortir le stylo quand, manifestement, le patronat cherche à emmener les syndicats dans une politique salariale au rabais. Ainsi venons-nous de refuser de signer l'accord sur les minima salariaux des ingénieurs et cadres, car la proposition était trop base (0,6%).
- L'OS : Un mot sur le 9 avril ?
F. Homez : La Confédération prend les choses à bras le corps. Une commission exécutive extraordinaire est convoquée lundi prochain 23 février, avec pour unique point à l'ordre du jour la préparation du 9 avril. Suite à quoi il appartiendra à toutes les instances de notre organisation d’essayer de réussir cette journée. Et dans l’intérêt des salariés, nous nous devons d’obtenir des réponses à nos revendications.
Gabriel Gaudy, secrétaire de l'UD-FO 75
- L'Ouest Syndicaliste : Au cours de ces derniers mois, souvent à l'initiative des Unions régionales FO, CGT ainsi que FSU et Solidaires d'Ile-de-France, des manifestations unitaires, sur des mots d'ordre clairs, ont de fait eu une portée nationale, rassemblant des milliers de travailleurs contre l'ANI MEDEFDT, la contre-réforme Ayrault des retraites, et dernièrement, le 26 janvier, contre le projet Macron.
Le 9 avril prochain, ce sera cette fois dans le cadre d'une grève interprofessionnelle que les manifestants battront le pavé parisien. Ton appréciation de la montée en puissance de la résistance ouvrière à laquelle le 9 avril ouvra la voie ?
Gabriel Gaudy : C'est par rapport à une situation d'ensemble, tant nationale qu'européenne que doit être apprécié le crescendo de la riposte des travailleurs, et au-delà des peuples, aux plans d'austérité, qui, de Paris à Athènes, en passant par Rome et même aussi Berlin, poussent toujours plus avant le laminage des salaires, de la protection sociale et des services publics.
A peine une contre-réforme imposée à la hussarde, qu'une autre jaillit des tiroirs, avec pressions sur les organisations syndicales pour les associer aux mesures d'austérité : après les retraites, l'ANI, etc, voilà maintenant les 54 milliards "d'économies" du pacte de responsabilité et la loi scélérate Macron.
Faisant échec aux tentatives de "syndicalisme rassemblé", FO a, à chaque occasion, organisé la résistance commune avec les organisations qui se trouvaient partager ses revendications.
Mais l'heure était venue de passer des ripostes communes au coup par coup à la grève interprofessionnelle, d'une journée d'abord, prémice d'un blocage du pays qui risque de s'imposer tôt ou tard.
Sans cela, nous continuerons de glisser dans la spirale à la grecque : nous en sommes déjà à 7 millions de français sous le seuil de pauvreté et aux nouvelles formes de "soupes populaires" que constituent les distributions alimentaires caritatives de produits périmés.
- L'OS : Tu t'en es félicité à la tribune : le mérite de la confédération, face à cette situation de crise politique, économique et sociale exacerbée, a été de maintenir le cap de l'indépendance syndicale, trouvant du coup un écho hors de ses propres rangs.
G. Gaudy : Tout à fait, et j'ai félicité J.C. Mailly à la tribune pour la constance avec laquelle il a tenu FO hors des pièges multiples tendus par les apôtres, proclamés ou honteux, de la subsidiarité. C'est la force que nous confère cette indépendance héritée de la Charte d'Amiens qui a fait que, dans d'autres organisations, je pense d'abord bien sûr à la CGT, des militants, des syndicats, des fédérations, d'accord avec nous sur l'essentiel, ont mis la pression pour créer un front de résistance syndicale, incompatible par nature avec l'accompagnement des dirigeants CFDT.
C'est le mérite de FO d'avoir fait capoter l'opération "Grande conférence sociale" en la quittant en juin dernier, entraînant dans son sillage la CGT et d'autres. C'est le mérite de J.C. Mailly de ne pas avoir défilé, comme d'autres, au côté de Pierre Gattaz avec l'intention de faire du 11 janvier un tremplin social et politique de l'union sacrée. C'est le mérite enfin de notre congrès confédéral d'avoir, à l'invite de son secrétaire général, lancé l'appel à la grève interprofessionnelle, qui trouvera sa matérialisation, intersyndicale, le 9 avril prochain.
François Grasa, secrétaire général de FO-Cheminots
- L'Ouest Syndicaliste : Le 29 janvier dernier, FO-Cheminots, Sud et la CGT avaient appelé les agents de la SNCF à faire grève et manifester pour exiger l'abrogation de la loi de juin 2014 portant "réforme ferroviaire". En quoi, pour reprendre la formule que tu as utilisée au congrès confédéral, cette "réforme euro-compatible" est-elle "statut-incompatible" , et pourquoi cette mobilisation alors que les nouvelles dispositions législatives sont désormais promulguées ?
François Grasa : J'ai exprimé à la tribune du congrès que l'ex secrétaire d'état avait vendu sa réforme comme étant eurocompatible, que le ministre soit eurocompatible c'est son problème. Nous à Force Ouvrière nous sommes "Statut compatible".
C'est la directive européenne 91440 qui exigeait la séparation de l'infrastructure (RFF) du transporteur (SNCF), c'est en 1997 que nous sommes passés d'un EPIC à deux EPIC. Et la loi d'août 2014 aggrave la situation car au lieu de réunifier le système ferroviaire c'est 3 EPIC qui sont créés. La convention collective qui est en pseudo négociation va remplacer la plupart des chapitres du statut du cheminot et de la réglementation du travail (RH0077).
C'est pourquoi notre revendication est l'abrogation de la loi d'août 2014 et le retour au monopole public d'état, pour faire simple une SNCF telle qu'elle existait avant 1997! Et cette revendication fait son chemin y compris dans les rangs des autres organisations syndicales, et a été reprise dans les assemblées générales lors de la grève de juin dernier et plus récemment dans la manifestation du 29 janvier.
- L'OS : Historiquement pour FO, faire entendre la voix du syndicalisme indépendant à la SNCF a toujours été un combat. Au point que la Fédé CGT des cheminots, prompte au "syndicalisme rassemblé" avec la CFDT, ait refusé (une fois de plus) l'action commune sur les revendications communes avec FO ce 29 janvier. Mais FO-Cheminots était en force le 29 janvier ... et cela paraît de bon augure pour vos nouvelles élections professionnelles de novembre prochain ....
François Grasa : Oui, sous prétexte de la loi d'août 2008, la fédération FO des cheminots est exclue des intersyndicales, certains préférant comme tu le dis le syndicalisme rassemblé avec ceux qui sont favorables à la réforme du ferroviaire, l'UNSA et la CFDT pour ne pas les nommer. Pour autant notre détermination nous a permis de nous exprimer durant les AG de juin dernier aux côtés des militants en grève de la CGT et de SUD. Les militants de ces organisations ne comprennent pas pourquoi leur fédération continue à chercher coûte que coûte l'unicité syndicale avec la CFDT et l'UNSA plutôt que l'unité d'action avec FO! Le 29 janvier même si nous n'étions pas les bienvenus auprès des organisateurs de la manifestation, le cortège de FO était plus nombreux et combatif que celui de SUD et cela a même été souligné par des militants de la CGT. L'unité d'action sur des bases claires est un vrai combat et disons que nous sommes en train de le gagner!
- L'OS : Après votre mouvement du 29 janvier, convaincre les cheminots de la nécessité de la grève interprofessionnelle paraît à l'évidence la priorité militante de FO-Cheminots ...
François Grasa : C'est une évidence, regarde ce qui se passe dans les transports, les cheminots ont fait grève une quinzaine de jours, ensuite les pilotes d'Air France, les marins de la SNCM et aujourd'hui les routiers, oui il est possible de bloquer le pays, oui nous pouvons gagner sur nos revendications, c'est tous le sens de la décision du congrès de notre confédération : bloquer le pays, et cela passe par la grève interprofessionnelle. Les cheminots y sont prêts !
Patrice Clos, secrétaire général de la Fédération des Transports et de la Logistique
- L'Ouest Syndicaliste : Le Medef, aiguillon du "gouvernement pro-business" Valls mène au pas de charge la croisade pour la restauration des profits par la casse du coût du travail.
Et manifestement en la matière le patronat de combat du transport/logistique est, si l'on peut dire, en pointe ...
Patrice Clos : Dans votre dernier numéro de l'Ouest Syndicaliste, mon camarade Gérard Caillaud, le secrétaire du syndicat FO-Transports de votre département, a parfaitement exposé la situation : smicardisation ou plutôt sous-smicardisation des chauffeurs routiers, fin de non-recevoir opposée à notre revendication d'augmentation de 5% des salaires et d'un 13ème mois. Ce alors que dans le même temps le CICE, l'abandon de l'éco-taxe et la baisse des prix du gaz-oil sont des aubaines financières pour les entreprises. Citant Jean-Claude Mailly, il a à juste raison rappelé que les grandes entreprises, qui arguent du dumping tarifaire des transporteurs d'Europe de l'Est, sont devenues elles-mêmes (Dentressangle, Géodis) les organisatrices de ce dumping, en constituant leurs propres filiales low-cost en Europe de l'Est.
Les mêmes savent pourtant mettre de l'argent sur la table... quand il s'agit de briser les grèves. Certaines sont allées jusqu'à instituer, en janvier dernier, une prime de 300 euros moyennant engagement des salariés à ne pas répondre à l'appel national à la grève de l'intersyndicale FO, CGT, CFTC, CFE-CGC !
- L'OS : Lors de ton intervention au congrès, tu as aussi exposé que les salariés du transport n'étaient pas seulement confrontés à leurs exploiteurs, mais aussi, et de manière directe, à la destruction du service public républicain et à l'Union européenne. Pour reprendre une célèbre formule de Marc Blondel, "tout" serait donc "lié"...
Patrice Clos : Absolument. La RGPP, puis la MAP et la MAP+ se traduisent par une diminution des contrôles de l'inspection du travail dans les entreprises, et sur les routes par une chute des contrôles des véhicules par la gendarmerie. En conséquence les carnassiers du low-cost savent qu'ils ne risquent pas grand chose en violant les règles de la sécurité routière et en traitant leurs chauffeurs en esclaves.
Lors de notre congrès fédéral de 2012, j'avais déclaré, et c'est plus que jamais d'actualité : «Sur un plan politique notre première cible est Bruxelles. Combattre le cabotage du transport marchandises ou protéger les camarades de la RATP attaqués sur leur statut de salariés d’EPIC, c’est se mobiliser contre les mauvais coups de l’Europe. Pour nous, les politiques en France ne sont plus des interlocuteurs crédibles tant qu’ils n’auront pas repris la main sur les technocrates de Bruxelles.»
- L'OS : Comment vois-tu la suite des choses, maintenant que le patronat a claqué la porte des négociations ?
Patrice Clos : Nous ne pouvons en rester là car ce qui est en jeu c’est la survie de la convention collective que le MEDEF voudrait voir supprimer, pour que tout se négocie en entreprise, c’est avoir un salaire décent face aux lourdes responsabilités des salariés du transport, c’est rendre nos métiers attractifs car la moyenne d’âge y est de 49 ans, c’est avoir une protection sociale digne de ce nom, car trop de camarades son cassés et usés en fin de carrière. C’est pourquoi l’unité syndicale (FO/CGT/CFDT/CFTC/CFE-CGC) fera front, et d’autres actions seront annoncées dans les tout prochains jours.
Gérard Dossetto, secrétaire général de l'UD CGT-FO des Bouches-du-Rhône
- L'Ouest Syndicaliste : C'était prévisible : la CFDT, l'UNSA, ainsi que la CFTC et la CFE-CGC ont rejeté la proposition faite par FO d'une grève interprofessionnelle ; et la FSU, prise dans ses contradictions, se tâte. L'existence dans le "paysage syndical" français d'une cinquième colonne emmenée par la MEDEFDT aurait-elle dû nous inciter à renoncer à l'action, puisque les "jaunes" vont s'exercer à nous compliquer la tâche, en vue de nous empêcher de réunir les conditions du rapport de force ?
Gérard Dossetto : Je pense que tu devines ma réponse au vu du discours que j'ai prononcé au congrès. Marc Blondel avait déclaré en 1994, à l'occasion du grand meeting national que la confédération avait organisé alors à Bercy, que "la sécu mérite bien une grève". Cette grève, nous l'avons faite un an plus tard, en novembre-décembre 1995 à l'annonce du Plan Juppé. Nous l'avons faite et réussie sans et contre la CFDT, entraînant à nos côtés le 28 novembre 1995 la CGT et son secrétaire général Louis Viannet dans la manifestation nationale parisienne qui donna le coup d'envoi à plusieurs semaines de grèves et manifestations, dont l'ampleur rappelle les mobilisations de mai-juin 68 et de 1936.
Certes, pour gagner la partie en 2015, à nouveau l'épreuve sera dure, mais qui parmi nous pourrait imaginer qu'il en aille autrement ?
Aujourd'hui nous sommes confrontés à une situation bien pire qu'en 1995, et appelons un chat un chat : si les contre-réformes réactionnaires que nous subissons depuis l'élection de Hollande l'avaient été sous un gouvernement Sarkozy II, est-ce que nous ne serions pas tous déjà descendus dans la rue depuis longtemps ? Le congrès confédéral a donc pris l'initiative s'imposant dans les circonstances actuelles : à l'unisson, en totale approbation de la proposition de Jean-Claude Mailly en ce sens, il s'est prononcé pour la grève interprofessionnelle, avec association au processus des organisations prêtes à s'y engager et dont les objectifs recoupent les nôtres.
C'est chose faite désormais avec l'appel commun FO, CGT, Solidaires à faire grève et manifester interprofessionnellement le 9 avril prochain ; et, pour ce qui la concerne, l'UD-FO des Bouches-du-Rhône s'attèle à la tâche, pour que sur le terrain soient créées les conditions du succès du 9 avril.
- L'OS : L'indépendance syndicale, c'est, comme tu l'as dit, ne pas être freiné dans la grève interprofessionnelle par la couleur rose d'un gouvernement.
Mais c'est aussi ne pas être davantage freiné par le bleu UMP, lorsque les territoriaux FO sont en conflit avec le nouveau président de la Communauté urbaine Marseille-Provence Métropole. La récente grève des éboueurs de l'agglomération en a été l'illustration ...
G. Dossetto : Ce conflit aurait parfaitement pu être évité, si le président de la CU avait eu la sagesse d'entendre les revendications FO, notamment l'embauche de 10 agents pour répondre aux besoins du service. 6 jours de grève et l'intervention de J.C. Mailly dans le conflit ont été nécessaires à la remise des pendules à l'heure.
Voilà qui dope les territoriaux marseillais en vue du 9 avril et promet, public-privé réunis, du monde sur la Canebière ce jour-là !
Denis Langlet, secrétaire de l'Union Locale FO de Trappes (Yvelines)
- L'Ouest Syndicaliste : Tu as consacré l’essentiel de ton intervention au congrès confédéral à la loi Macron, peux tu nous en préciser les raisons ?
Denis Langlet : Tout d’abord, il y a la tentative d’imposer une méthode aux organisations syndicales : celle de rendre impossible la compréhension de ce projet par une simple lecture. 105 articles, certains très longs, concernent plusieurs secteurs d’activité, un texte parsemé de renvois à des numéros d’articles du code civil, du code du travail, .. bref ce type de texte nécessite d’être décrypté.
Ce simple fait exprime le mépris des autorités pour les organisations syndicales. JC Mailly est secrétaire général d’une confédération syndicale. Son travail ne consiste pas à décrypter, ce n’est pas Champollion.
Et puis, au-delà du caractère totalement anti démocratique de cette méthode, par qui ce décryptage doit-il être fait ? Par des experts ? mandatés par qui ? On connait la place et le rôle des experts à Bruxelles tant dans la commission européenne qu’à la CES. Téléguidés par les multinationales, ils imposent un point de vue et les représentants élus et mandatés, comme nous par exemple, doivent s’avaler leur potion et sont interdits d’opinion propre. Cette méthode est celle du texte du traité européen de Maastricht.
Venons-en au contenu lui-même. Ce projet concerne tant de domaines qu’il lui a valu d’être qualifié de projet fourre-tout. Mais il est d’une grande cohérence, que l’étude de l’article 83 révèle. Cet article 83, d’une gravité inouïe, abroge notamment le 2ème alinéa de l’article 2064 du Code civil
Ce 2ème alinéa fait obligation aux employeurs et aux salariés de soumettre tout différend survenu dans l’exécution du contrat de travail aux dispositions du Code du travail et relève donc de la juridiction prud’homale. En l’abrogeant, la loi Macron supprime dans le code civil la spécificité du contrat de travail et permettra que les différends entre employeurs et salariés sur les éléments individualisés de leur relation de travail ne relèvent plus du Code du travail, mais du Code civil.
- L'O.S.: Avec quelles conséquences ?
D. Langlet : Le Code du travail a été créé pour contrebalancer juridiquement l’infériorité économique du salarié, conséquence, dans le système capitaliste, de sa subordination à l’employeur. C’est pourquoi s’est, très vite, faite jour l’exigence de contrats collectifs, instaurant des garanties collectives s’appliquant au contrat de travail de chacun.
Avec le contrat collectif, le salarié est protégé de la mise en concurrence avec les autres salariés.
Avec le projet Macron, c’est le retour au contrat individuel, de gré à gré,
En construisant nos syndicats, nous opposons à cette concurrence l’égalité des droits (code du travail et conventions collectives). En obtenant pour nos syndicats la liberté de négociation, nous avons arraché le contrat collectif et pu négocier le salaire, les conditions de travail, et l’un après l’autre tout ce qui constitue les acquis collectifs : l’assurance maladie, les retraites, les allocations chômage
Aujourd’hui ils veulent parachever le « détricotage » des acquis engagé depuis 1983, date du tournant de la rigueur, et plus précisément en finir avec le contrat collectif dont le Code du travail garantit les acquis pour y substituer l’individualisation totale des éléments constitutifs du contrat de travail. Celui-ci pourra être établi au même titre que n’importe quel accord commercial. L’existence des Conseils de prud’hommes permet d’y faire valoir ses droits. Mais la loi Macron va empêcher le salarié d’y avoir recours.
Ils veulent effacer plus de deux cents ans de lutte ouvrière et syndicale.
Une urgence s’impose : mettre toutes nos forces dans la préparation du 9 avril, pour en finir avec le pacte de responsabilité et son fer de lance : la loi Macron.
Frédéric Bochard, secrétaire général de l'UD CGT-FO du Puy-de-Dôme
- L'Ouest Syndicaliste : Au congrès confédéral, tu nous as décrit le Puy-de-Dôme comme un département où ça pousse à la grève dans le public comme dans le privé. Mais sur le terrain, la nécessité de faire converger les mouvements en cours fait-elle son chemin ?
Frédéric Bochard : ça bouge effectivement dans le Puy-de-Dôme, et dans les secteurs les plus divers : nous avons eu les piquets de grève des routiers à l'initiative de FO rejointe par la CGT, la bagarre des salariés de Constellium à Issoire contre les licenciements et une politique sociale au rabais, la grève générale des hospitaliers de Riom, une forte mobilisation des enseignants avec manifestation massive devant l'inspection académique; et enfin le jour même où j'ai pris la parole au congrès, je venais d'apprendre qu'Issoire-Aviation partait à son tour en grève.
En semblable situation, la question de la convergence des grèves éparses dans la grève interprofessionnelle se pose d'elle-même objectivement. Elle l'est de manière explicite chez nos camarades hospitaliers, conscients de la nécessité de centraliser les résistances.
- L'O.S. : En France comme dans toute l'Europe, la résistance à l'austérité est-elle compatible avec les diktats de Bruxelles et les traités européens ?
F. Bochard : Claude Junker, le Président de la Commission européenne, vient de mettre les points sur les "i", déchirant ainsi les illusions des naïfs et faux-naïfs euro-illusionnés euro-illusionneurs. Suite au séisme provoqué dans l'Union européenne par les récentes élections en Grèce, il a déclaré sans vergogne: " Il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités européens ". Convenons qu'il ne saurait y avoir meilleure définition du talon de fer.
Et Bernadette Ségol, la secrétaire de la Confédération européenne des Syndicats, lors de son allocution à notre congrès confédéral, de lui faire écho en déclarant qu'il faudra bien que le gouvernement grec mette de l'eau dans son vin.
En tant que syndicaliste indépendant, je considère moi qu'il ne peut y avoir de cette eau bruxelloise dans le vin, et qu'il ne peut y avoir qu'un seul outil contre le talon de fer de la Commission de Bruxelles et de la Troïka : la grève interprofessionnelle avec montée en manifestation nationale à Paris.
- L'O.S. : La "résolution générale" adoptée par le congrès confédéral expose : "(...) Attaché à la liberté syndicale et au fédéralisme, le congrès rappelle que FO, conformément à la démocratie de délégation, ne saurait être engagée par des décisions ou orientations prises en dehors de ses instances. En conséquence, elle conserve en toute circonstance sa liberté de comportement, notamment au sein de la Confédération Européenne des Syndicats (CES) et de la Confédération Syndicale Internationale (CSI). (...)"
Ce rappel de la préservation de notre indépendance dans les instances européennes et mondiales du syndicalisme te paraît donc sans doute bienvenu ?
F. Bochard : Non seulement bienvenu, mais plus qu'indispensable si nous voulons éviter de nous retrouver ficelés comme des lapins.