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23 mai 2013
INTERVIEW DE PASCAL PAVAGEAU, LE 1er MAI À NANTES
L'Union Départementale Force ouvrière de Loire-Atlantique a organisé, comme c'est le cas chaque année, ses propres rassemblements le 1er mai.
Pascal Pavageau, Secrétaire Confédéral, Responsable du secteur Economie, à bien voulu répondre aux quelques questions de L'Ouest-Syndicaliste.
- L'Ouest Syndicaliste : L'année passée, à l'inverse d'autres organisations syndicales muées pour la circonstance en rabatteuses de voix d'un candidat à l'élection présidentielle, Force Ouvrière avait marqué sa différence en ne donnant aucune consigne de vote, tant au premier qu'au second tours du scrutin.
Ce qui, et ton discours à Nantes en a été l'illustration, permet aujourd'hui à FO de parler et revendiquer d'autant plus haut et fort qu'elle n'avait pas été, elle, semeuse d'illusions...
- Pascal Pavageau : Effectivement, lors des dernières élections présidentielles, et comme toujours, nous n'avons jamais dévié de notre ligne historique d'indépendance. Nous n’avons appelé à voter pour ou contre personne. Comme nous l’avons rappelé au rassemblement nantais du 1er mai, nous demeurons et devons plus que jamais demeurer les héritiers de la «vraie CGT» de 1895 et de la Charte d'Amiens de 1906.
D’ailleurs, Patrick Hébert n'a pas manqué de rappeler que c'était le congrès commun de Bourses du travail et des syndicats tenu à Nantes en 1894 qui avait posé les fondements théoriques de l'indépendance syndicale, qu'allait faire siens un an plus tard le congrès constitutif de la CGT, à Limoges en 1895.
La réaffirmation par FO, aux présidentielles et aux législatives de 2012, de sa tradition de totale indépendance allait d'ailleurs de pair avec un devoir de lucidité.
N'avions-nous pas sous les yeux les exemples de la Grèce, de l'Espagne, du Portugal, de l'Autriche, etc., où, quelles que soient les majorités électorales et les "alternances" politiques, nous observions partout la mise en œuvre et l'aggravation systématique des mêmes politiques d'austérité?
Nous avions donc tout lieu de penser que, quels que soient l'hôte de l'Elysée et la majorité parlementaire, la politique économique d’austérité et de rigueur demeurerait en France.
Ce qui n'a pas manqué d'être vérifié très rapidement. Avec l'adoption du TSCG en novembre, sans aucune modification par rapport au cadre concocté en février 2012, c’est l’austérité qui se retrouve traduite législativement et quasi institutionnalisée avec la création, en France, d’un «Haut conseil aux finances publiques» chargé de contrôler le parlement !
Certains nous expliquent «penser le changement», aujourd’hui sur presque tous les sujets sociaux et économiques. Il faut «changer le pensement» !
- L'O.S. : Changement de "pensement" accompagné bien sûr de saignées de plus en plus austéritaires et mortifères ...
P. Pavageau : Aujourd’hui, les politiques économiques et sociales sont cadrées par les «trois mousquetaires de la misère» : Austérité / Flexibilité / Compétitivité.
Comme toujours, ils sont en fait quatre : La «Sobriété» s’y ajoute.
Derrière la «sobriété», le gouvernement nous parle de rigueur et de décroissance.
Dans un débat en cours comme celui de la transition énergétique, on en arrive à nous expliquer que si 3,5 millions de ménages français vivent en situation de précarité énergétique (donc ne peuvent se chauffer correctement ou se déplacer facilement), cela n’est pas si grave pour la nation, car, au titre de la "sobriété", cela fait des économies d’énergies… «Vous n’avez pas les moyens de vous chauffer ? Alors ne vous chauffez pas !»
Cette brutalité, nous l’entendons et la prenons en pleine face dans un tel cadre national au titre de la «sobriété». De même, certains de se féliciter d’une destruction d’emplois industriels depuis 2008 : cela signifie des réductions de besoins en énergie et des emplois jugés «polluants» en moins !
- L'O.S. : ... Et derrière la "sobriété", il y a les "taxes comportementales" en embuscade...
P. Pavageau : Oui. Derrière cette notion et celle de «compétitivité», il y a aussi le développement de taxes environnementales, à la consommation, ou «comportementales» : l’augmentation de la TVA (décidée en novembre par le gouvernement pour financer une partie du «crédit d’impôts pour la compétitivité et l’emploi», soit 20 Mds distribués fiscalement aux entreprises sans aucune conditionnalité…) représente 7 Mds par an, payés en plus par tous, quel que soit leur niveau de ressources.
Ces taxes sont injustes, souvent injustifiées, et ne sont pas, contrairement à l’impôt sur le revenu, progressives. Tout le monde les paye. Non seulement elles affaiblissent l’impôt sur le revenu, mais en plus elles servent de justificatif pour venir réaliser des exonérations de cotisations patronales supplémentaires (qui représentent déjà 30 Mds sans aucun effet sur l’emploi !) et ainsi à affaiblir la protection sociale et à créer artificiellement un déficit (car toutes les éxonérations ne sont pas compensées !).
C’est pour cela que FO combat ces taxes et revendique, au contraire, une réforme fiscale d’ampleur, juste, redistributive et respectant la progressivité républicaine en remettant les impôts sur le revenu, sur les sociétés et sur le capital au centre du dispositif, de façon majoritaire.
- L'O.S. : Tu as insisté au cours de ton discours sur l'imbrication, toujours dans le cadre de l'austérité, de l'ANI et de l'Acte III de la décentralisation...
P. Pavageau : Nous avons largement expliqué nos positions contre l'ANI et la loi le transposant.
D’un accord "historique" voulu par le gouvernement, on aboutit à un texte préhistorique qui attaque le droit du travail et des salariés et pousse la flexibilité à son apogée.
Il faut mettre en parallèle le projet d’acte III de la décentralisation, annoncé aux motifs de la «compétitivité» et bien évidement de l’austérité, avec la nouvelle loi de «flexibilité» :
- la décentralisation transfère le droit du niveau national à la région et aux métropoles :
on aurait alors des dispositions du droit social et du droit du travail différentes d’une région à l’autre, et au sein d'une même région avec une spécificité de la métropole. Par exemple, les élus alsaciens revendiquaient, une fois la collectivité unique instaurée (ce que nous avons réussi à empêcher pour l’instant), de créer un SMIC alsacien !
- la loi «flexibilité» affaiblit le droit national (code du travail, accords de branches, conventions collectives) et instaure une sorte de droit d’entreprise
se construisant au gré d’accords dits majoritaires. On inverse la hiérarchie des normes.
Ensemble, c’est tout l’arsenal du droit national, y compris législatif, qui est fragilisé et réduit. D’une entreprise à l’autre, d’une région à l’autre, le droit applicable devient différent ! C’est aussi pour cela que FO combat ces projets. Ils sont fondamentalement mauvais pour les salariés, ils affaiblissent le droit du travail et le droit social, et ils condamnent durablement l’égalité républicaine. Et sans l’égalité, la République n’est plus.
- L'O.S. : L’austérité passe aussi par la "MAP" ...
P. Pavageau : Un des engagements du Président de la République était l'arrêt de la RGPP.
En guise d'arrêt, ce fut un changement sémantique : la RGPP est devenue la MAP, modernisation de l’action publique.
Comme l’a souligné FO, la MAP, c’est en fait la RGPP++ : les 561 mesures de la RGPP sont en fait poursuivies et selon un calendrier qui s’est accéléré. A celles-ci s’ajoutent environ 200 décisions de réformes transversales et interministérielles décidées unilatéralement et sans concertation par le gouvernement en décembre 2012 puis avril 2013 au titre de la MAP : la RGPP+.
Puis chaque ministère doit établir, en plus de tout cela, ses propres mesures de suppressions, de mutalisations. En gros choisir quels membres il s’ampute en complément de ceux déjà coupés par la RGPP et la MAP. C’est une RGPP++.
En termes d’effectifs, on est passé du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, à 4 sur 5 dans la plupart des ministères. Et au niveau départemental, les 2/3 des effectifs de l’Etat qui existaient en 2007 auront été supprimés en 2017 par les effets RGPP + MAP. C’est une destruction sans précédent des services et des missions publics.
Ce sont les conséquences de l’austérité : la rigueur pour les services publics, c’est «échec et MAP» !"La RGPP tue" avait déclaré FO dès 2007.
«L’austérité tue» ! Elle "tue" le service public, voire potentiellement les citoyens eux-mêmes en mettant en cause la sécurité publique, notamment en matière sanitaire avec l'abandon des contrôles vétérinaires dans l'industrie alimentaire.
- L'O.S. : Que t'inspire la feuille de route adressée par Bruxelles à l'Elysée : deux années de sursis pour rentrer dans les clous des 3% de déficit... assorties de l'exigence de "réformes structurelles"?
P. Pavageau : Le sursis ne change pas l’objectif de réduire la dépense publique pour «rentrer» dans le cadre budgétaire de 0,5% du PIB de déficit public structurel annuel.
Aucun pourcentage n’a de sens économique en la matière. D’abord parce que la référence au PIB (annuel) fausse le débat, et ensuite parce que c’est empêcher la nécessaire action publique et la mise en œuvre des politiques publiques.
Cette contrainte budgétaire, c’est vouloir soigner des pays qui ne sont pas malades : au final, si tant est que cela soit possible, on atteindrait 0,5% de PIB de déficit public en 2017, mais en étant tous morts ! Guéris d’un mal inventé, mais morts ! Et des exemples comme l’Espagne, le Portugal, l’Italie ou la Grèce démontrent aujourd’hui que les programmes de rigueur imposés par la "troika" ne règlent même pas l’endettement public des pays, celui-ci se creuse encore plus : en réduisant la dépense publique couplée à une réduction salariale on réduit la demande, la production et donc les recettes fiscales. Et on crée inégalités, pauvretés, misères et drames. On ne peut sortir d’une crise avec de l’austérité, c’est économiquement impossible, au contraire la rigueur l’accroît.
Il faut complètement changer de politique économique : stopper cette austérité suicidaire socialement comme économiquement et dangereuse démocratiquement, et en revanche relancer l’intervention publique (grands projets publics, en France et au niveau européen / financement public des filières / développer la recherche et l’innovation / donner du sens et du cadre à l’activité par les politiques publiques ambitieuses), en se donnant les moyens de les financer (vraie politique fiscale, remettre l’impôt sur le revenu au centre, élargir les assiettes sur le capital, revoir en profondeur les niches fiscales qui représentent un manque à gagner de 140 Mds par an pour l’action publique, mettre des éléments de conditionnalité pour l’emploi dans des crédits d’impôts comme le CICE ou celui en faveur de la recherche, etc), et avoir une politique d’augmentation générale des salaires, du SMIC, du point d’indice dans la Fonction Publique et des minima sociaux : relancer l’activité et l’emploi impose la croissance, la croissance est interdépendante de la consommation. Il faut donc permettre une relance de la consommation par l’augmentation salariale !
- L'O.S. : Quelles conclusions tirer de la toute récente annonce par le coréen STX de son possible désengagement de la navale européenne ?
P. Pavageau : Nous en avons parlé avec les camarades le 1er mai. Cette annonce était pressentie. Nous défendons l’intervention publique, nous avons revendiqué une banque publique pour l’industrie (devenue finalement la BPI). Chaque fois que nécessaire pour maintenir l’activité, notamment de fleurons industriels, l’Etat ne doit pas hésiter à rentrer au capital, y compris de façon majoritaire, voire totale. La question de la nationalisation doit être posée.
Pour Florange, comme pour STX, c’est une revendication FO. Il faut aussi que l’Etat donne du sens, oriente ses politiques publiques et fiscales pour maintenir un cadre durable : par exemple pour STX, dans le cadre de la Filière navale dont FO a obtenu la création (comme celle sur le Nucléaire), pourquoi l’Etat ne permet-il pas de créer les conditions industrielles et technologiques de déconstruire les navires ?
En plus de la construction, dont on sait parfois le marché fluctuant, la déconstruction des navires, qui appelle les mêmes qualifications, permettrait un marché mondial et la création de plusieurs milliers d’emplois selon les estimations de l’Etat lui-même ! Nationaliser STX si nécessaire et, à tout le moins, investir et prendre la majorité au capital pour orienter son activité dans un sens créateur d’emplois, c’est parfaitement possible comme FO le revendique depuis les débats du «Grenelle Mer» et du «Comité navale» en 2008/2009.
Là encore, cet exemple montre que l’intervention publique, l’action publique, l’investissement public sont plus que jamais indispensables pour maintenir l’activité, l'orienter dans des champs porteurs et créer la croissance et l’emploi.
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FO44 : UN PREMIER MAI EN VEILLÉE D'ARMES